L'oiseau captif - Jasmin Darznik

Forough Farrokhzad a grandi à Téhéran dans les années 1930, au sein d'une famille de sept enfants. Dans la maison règne une discipline de fer, et les enfants n'appellent pas leur père "papa", mais "Colonel". Très tôt, Forough manifeste un vif intérêt pour la poésie persane et dévore les recueils que ses frères étudient, eux qui ont la chance d'aller à l'école.
À l'âge de seize ans, Forough épouse son amour de jeunesse, Parviz, sur décision de son père qui tient à éviter un scandale. Mais alors que beaucoup de jeunes filles n'ont pas la chance de choisir leur mari, Forough ne tarde pas à déchanter : l'homme qu'elle a épousé n'est pas exactement celui qu'elle imaginait.
Alors elle se remet à écrire et entre ses vers se devine quelqu'un qui ne fait pas semblant de vivre. Une femme, une vraie. Et même une poétesse. Une qui, sans même s'en rendre compte, va révolutionner la scène littéraire iranienne en écrivant sur le sentiment amoureux, le désir et l'amour charnel, des thèmes traditionnels de la poésie persane, mais qui, venant d'une femme, vont provoquer un séisme sans précédent dans la société iranienne et vaudront à Forough Farrokhzad une réputation sulfureuse.
Comment être une femme en Iran dans les années 50-60, et espérer voler de ses propres ailes ? Bien que le pays n’était pas encore celui d’aujourd’hui, les traditions, les obligations, la culture désapprouvaient déjà les mœurs occidentales. Et Forough Farrokhzad, cette femme remarquable, a voulu voler... mais elle s’est brûlé les ailes.
Je ne suis pas, à la base, une personne très sensible à la poésie. Et pourtant, certains vers m’ont profondément marquée, par leur pureté et l’émotion qu’ils dégagent. Tout au long de l’œuvre, plusieurs de ses poèmes traduits ponctuent le récit, et ce qui les rend encore plus bouleversants, c’est qu’on comprend ce qui a poussé Forough à les écrire. Oui, je dis bien la poète, car c’est un combat en soi pour elle : refuser le terme de “poétesse”, qu’elle trouvait dévalorisant, et être reconnue comme l’égale de ses homologues masculins. Elle exécrait le terme poétesse et j'ai maintenant un regard différent sur ce mot.
O ciel ! Si un jour je décidais de fuir
cette prison sombre, que pourrais-je dire
devant les yeux de cet enfant en larmes ?
laissez-moi car je suis un oiseau captif.
Je suis la lampe qui illumine une ruine,
du feu de mon cœur,
si je décidais de l’éteindre,
je détruirais une famille.
« la captive »
On découvre une jeune fille audacieuse, élevée dans une famille stricte : un père militaire froid, une mère dévouée, des frères et sœurs, et ce besoin viscéral de regarder au-delà des murs, de vivre sa vie à elle. Sa passion pour l’écriture, la lecture, mais aussi pour l’amour, le corps et la pureté seront ses piliers. On la jugera, on la punira, on la décrédibilisera, on l'enfermera, on la convoitera, on la trahira, on la blessera, on l'aimera, on la protégera mais jamais personne ne la transformera. Elle sera cet être à la fois forte et fragile avec ce besoin de reconnaissance permanent et aussi cette désinvolture permanente sur le regard de tous ceux qui l'entoure.
Comme vous le voyez, j’ai été passionnée par la femme. Je n’ai pas toujours cautionné ses choix — mais qui suis-je pour juger ? En revanche, si la femme m’a fascinée, le livre en lui-même m’a un peu moins convaincue. Je trouve qu'il manque de puissance, d'émotions, il aurait pu être tellement plus immersif pour porter une femme si remarquable (dans le sens Attirer l'attention, même si la définition Digne d'être remarqué par son mérite lui est aussi applicable). L’histoire aurait pu être bien plus immersive, plus vibrante, pour porter une personnalité aussi marquante. Jasmin Darznik a, selon moi, manqué la profondeur des rapports humains qu’elle esquisse seulement dans le texte, et c’est vraiment dommage.
Autre point qui m’a dérangée : certaines périodes de la vie de Forough sont volontairement passées sous silence, ce que l’autrice justifie dans ses remerciements. Mais pour moi, c’est regrettable. Jasmin Darznik a volontairement tût des périodes de Forough Farrokhzad alors qu'elles auraient sans doute permis d'équilibrer le caractère de celle-ci et lui donner une autre facette plus attachante. Cela m’a d’ailleurs fait penser au roman Alice de Samantha Nobilo. Le destin de ces deux femmes, dans leurs souffrances, leurs combats en tant que femme, mère, ou simple objet d'études et d'expériences médicales, se répondent étrangement.
En résumé, j’ai adoré découvrir ce personnage et ceux qui ont traversé sa vie. J’ai été moins convaincue par la narration, mais cela reste une très belle découverte, notamment grâce à ces poèmes magnifiques qui m’ont profondément émue. Un bel hommage, même s’il aurait pu être plus éclatant. Je referme le livre en laissant cet oiseau captif retrouver sa liberté et voler au dessus des montagnes enneigées, les déserts salés, les plateaux agricoles, les lacs rafraichissants et écrire à jamais des vers non prononcés.
J’accroche deux boucles de cerises rouges à mes oreilles
J'avais hâte de lire ton avis sur ce livre depuis que tu l'as mentionné l'autre jour :) Malgré les quelques points qui t'ont moins plu, tu sembles avoir apprécié ta lecture. Je n'ai pas noté ce titre pour l'instant, par contre ma bibliothèque a un recueil de cette poète (puisqu'il ne faut pas dire poétesse...) et je l'ai ajouté à ma liste à emprunter :) Merci de m'avoir fait découvrir son existence!
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