La Part de l’Autre – Éric-Emmanuel Schmitt

 

https://img.livraddict.com/_thumbs/covers/493/493413/200_0/couv17455269.jpgLa part de l'autre - Eric-Emmanuel Schmitt

8 octobre 1908 : Adolf Hitler recalé. Que se serait-il passé si l'École des beaux-arts de Vienne en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, cette minute là, le jury avait accepté et non refusé Adolf Hitler, flatté puis épanoui ses ambitions d'artiste ? Cette minute-là aurait changé le cours d'une vie, celle du jeune, timide et passionné Adolf Hitler, mais elle aurait aussi changé le cours du monde...

Je suis encore sous le choc de cette lecture – ou plutôt de cette écoute – qui m’a totalement habitée, dérangée, bouleversée. La Part de l’Autre est un roman d’une intensité rare, à la frontière de l’Histoire, de l'uchronie avec quelques aspects philosophiques. Éric-Emmanuel Schmitt ose un pari audacieux : et si Hitler avait été reçu à l’École des Beaux-Arts de Vienne ? Et si, à la place du Führer, l’Histoire avait donné naissance à un homme ordinaire, peintre, rêveur, abîmé mais non monstrueux ? Un simple changement de trajectoire, et le monde aurait été tout autre.

Schmitt construit son roman en miroir : chaque chapitre alterne entre la réalité que nous connaissons – celle d’Hitler – et une réalité parallèle – celle d’Adolf H., l’artiste. Deux chemins, deux hommes, deux destinées. Mais un même fil conducteur : l’Art. Le dessin, la peinture, la sensibilité artistique imprègnent ces deux vies, même lorsque l’une s’en éloigne irrémédiablement. Et ce qui frappe, c’est cette écriture puissante, presque hypnotique, qui saisit les émotions à la gorge. Écouter ce roman, porté par la voix magistrale de Daniel Nicodème, a été une expérience presque mystique. Je me suis sentie comme une enfant dans une tente, la nuit, suspendue aux lèvres d’un conteur qui distille l’horreur dans le silence.

"Un idiot qui doute est moins dangereux qu’un imbécile qui sait. Tout le monde se trompe, le génie comme le demeuré, et ce n’est pas l’erreur qui est dangereuse mais la fanatisme de celui qui croit qu’il ne se trompe pas. Les salauds altruistes qui se dotent d’une doctrine, d’un système d’explication ou d’une foi en eux-mêmes peuvent emporter l’humanité très loin dans leur fureur de pureté. Qui veut faire l’ange fait la bête."

Ce roman ne cherche pas d’excuses. Il ne réhabilite pas. Il explore. Il décortique. Il nous livre un Hitler intime, froid, rongé de ressentiments, mais aussi solitaire, humilié, perdu dans son propre chaos. L’auteur ose s’approcher de l’homme derrière le monstre, sans jamais tomber dans la complaisance. Il touche du doigt cette part humaine, dérangeante, celle que l’on refuse de voir dans la figure du Mal absolu.

Et en face, Adolf H., cet autre. Qui vit, qui doute, qui aime, qui lutte contre ses propres démons. Car la noirceur n’a pas disparu pour autant. Elle est là, en latence, elle affleure. Et c’est là toute la force du roman : nous montrer que le monstre n’est peut-être pas né, mais toujours possible. Tout est affaire de circonstances, de choix, d’égo, de solitude, de frustration.

"Hitler avait aussi compris quelque chose qu'il ne dirait jamais à personne: il ne s'adressait qu'aux sentiments négatifs des foules. Il réveillait leur colère, leur haine, leur rancœur, leurs déceptions, leurs humiliations. C'était facile, il les trouvait d'abord en lui. Les gens l'idolâtraient parce qu'il s'exprimait avec le cœur, mais ils n'avaient pas repéré qu'il s'agissait de la face noir du cœur."

Ce roman est un tourbillon émotionnel.
La colère, l'envie, la dépréciation, la dévalorisation, le doute, la colère, l'orgueil, la violence, la sécurité, l'altruisme, l'égoïsme, le rêve, la solitude, la peine, toutes ces émotions sont décrites avec une telle méticulosité qu'elles nous rendent à fleur de peau.
L’auteur ausculte l’âme humaine, l’essore jusqu’à la dernière goutte. Et moi, j’écoute, captivée, parfois terrifiée, toujours émue.

Certes, certains passages sont difficiles, âpres, voire dérangeants. Il faut accepter de descendre très profondément pour mieux saisir la portée du propos. Mais quelle richesse ! Quelle intelligence ! Ce roman est une claque magistrale, une plongée philosophique qui fait réfléchir, ressentir, frémir.

J’ai adoré cette découverte. Chaque mot semble avoir été ciselé avec une précision chirurgicale. Le style est simple en apparence, mais il recèle une intensité qui prend aux tripes. Et cette couverture ! Hypnotique, symbolique, elle résume à elle seule l’essence du roman : deux visages, deux parts, un seul homme ?

La Part de l’Autre est sans aucun doute l’un de mes coups de cœur 2025. Ce roman rejoindra ma liste de ceux qui marquent une vie de lectrice. Et peut-être même d’être humain.

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