La bicyclette bleue tome 1 - Régine Deforges

Auteur : Régine Deforges
Éditions : Le livre de poche
Genre : Historique
Date de publication originale : 1981
Pages : 413

  "Le premier levé, Pierre Delmas prenait un mauvais café, tenu au chaud par la servante sur un coin de l'antique cuisinière."

Synopsis :

1939. Léa Delmas a dix-sept ans. Sa vie se résume aux senteurs de la terre bordelaise, à la lumière des vignobles, à la tendresse des siens. La déclaration de guerre va anéantir l'harmonie de cette fin d'été et jeter Léa dans le chaos de la débâcle, de l'exode, de la mort et de l'occupation nazie. Léa va être contrainte à des choix impossibles.


Ce que j'en ai pensé :

Voici un de mes livres de chevet, ce genre de petit trésor que l'on sort lorsqu'on a envie de ne rien lire, parce que on n'a pas le moral, parce que on se sent faible et qu'on a envie de retrouver ses forces. C'est donc ma n-ième relecture de ce chef d'œuvre français qui a fait tellement couler d'encre ...

Tout d'abord, il est nécessaire de vous parler du  premier scandale qui entoure la bicyclette bleue, à savoir une contrefaçon française d'Autant en emporte le vent.
"Pour la Bicyclette bleue, Régine Deforges est accusée de contrefaçon par les ayants droit du roman Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell. S'ensuit une saga judiciaire : le tribunal de grande instance de Paris considère le 6 décembre 1989 qu'il y a effectivement contrefaçon, mais Régine Deforges fait appel et la cour d'appel de Paris lui donne raison le 21 novembre 1990. L'affaire est portée devant la cour de cassation, qui le 4 février 1992 casse le jugement de la cour d'appel de Paris et renvoie le procès devant la cour d’appel de Versailles, qui déclare le 15 décembre 1993 qu'il n'y a pas contrefaçon." (source wikipedia)
Pour celles et ceux qui n'auraient pas encore lu ce livre, pourquoi parler de plagiat ou de contrefaçon ? Et bien c'est vrai que plusieurs évènements peuvent faire penser à Autant en emporte le vent, à savoir : La jeune fille jolie : Léa, un peu écervelée, égoïste à souhait qui a sa cour d'admirateurs (Jean, Raoul, Mathias,...), adorée par son père (Pierre) qui est "soi-disant" amoureuse du fils du voisin de la propriété familiale (Laurent), qui doit se marier avec sa cousine (Camille). On retrouve la fameuse scène de la déclaration d'amour, l'ami caché qui a tout entendu qui est odieux (François). Les fiançailles de l'héroïne avec le frère de la futur mariée qui va mourir (Claude), ouf et qui ne sera pas beaucoup pleuré et pour finir, la guerre qui éclate et la mariée enceinte qui est clouée au lit dont l'héroïne devra s'occuper sur la demande du mari aimé en secret et la fuite dans des conditions horribles pour rejoindre le domaine familial. Bref tout y est  ou presque ; ça ne vous donne pas envie, trop de déjà vu, vous avez tord, car la bicyclette bleue c'est plus intense, plus fort, c'est une écriture beaucoup plus contemporaine comparée à celle de Margaret Mitchell. Et puis surtout, le roman est étayé par une grande recherche historique avec intégration de discours, de moments clés de la seconde guerre mondiale. C'est un hymne à la résistance, c'est le courage, c'est la peur, c'est la faim, la lutte de toutes les classes.

Ce premier tome est une très bonne introduction au tome suivant, qui sera beaucoup plus noir avec de nombreuses scènes de tortures, d'exécutions, de la noirceur du régime nazisme, mais j'en parlerai plus en détails dans la suite.

Alors oui, Léa Delmas est une jeune fille horripilante au début du roman, ayant l'insouciance de son âge qui ne veut que profiter des bons moments, qui veut être libre. Léa va au fur et mesure se transformer, va murir très vite, va devoir prendre des décisions dont les impacts vont au delà de sa propre vie, elle va porter son entourage à bout de bras. Sa force c'est justement son impulsivité, le fait qu'elle agisse et après réfléchit, mais ses valeurs, ses origines, vont en faire un personnage exceptionnel. Mais Léa a également ses failles et en particulier, ses parents, et elle craque, elle peut plonger dans un mutisme et c'est ce qui la rend au final si attachante. Je le disais plus tôt, elle va évoluer dans un monde transformé par la guerre, on va souffrir avec elle, on va pleurer, on va avoir peur. Ce roman est un ascenseur émotionnel. Et si on arrive à faire abstraction du plagiat, il est tout simplement exceptionnel.

Le second scandale autour de ce roman, c'est le côté érotique du roman. Alors maintenant en 2017, cela pourrait faire sourire puisque ce genre de roman peut désormais être considéré comme soft. Mais en 1980, cela a également défrayé le chronique. C'est sûr qu'une jeune fille de 17 ans qui perd sa virginité sous les bombardements d'Orléans et qu'ensuite passe d'un amant à un autre, ce n'était pas courant. Mais une fois de plus, Régine Deforges introduit ces scènes au final avec beaucoup de pudeur et surtout elles sont pleinement justifiées dans le contexte historique décrit avec cette fois-ci beaucoup de réalité. L'intimité de Léa, son histoire côtoie l'Histoire de la France, et nous fait un rappel fidèle de cette triste partie de notre passé.

Quand aux autres personnages qui entourent Léa, ils sont également extrêmement fouillés. Ils gravitent autour de cette jeune fille, ils sont en points tillés mais ont tous leur importance, qu'ils s'agissent Françoise qui tombe amoureuse de la mauvaise personne et Laure, la pétainiste (sœurs de Léa ), Laurent ( le voisin aimé en secret qui va partir au combat), Camille (l'épouse de Laurent, la gentille et frêle jeune femme qui va trouver la force là où on n'aurait jamais pu l'imaginer, elle est incroyable), François (le personnage le plus complexe, odieux, amoureux de Léa, le combattant de l'ombre ou collabo), Albertine et Lisa (les tantes vieilles filles complétement dépassées), Raphael (écrivain raté, à demi juif, homosexuel, à l'humour noir, qui collabore pour sauver sa peau), Sarah (juive, qui choisit de continuer à vivre à Paris en attendant son mari emprisonner en Allemagne soit libéré ou plus exactement exfiltré, d'une grande beauté), Adrien (l'oncle de Léa, dominicain qui s'engage dans la résistance et perd la foi un peu plus que les horreurs augmentent), tous ces personnages permet au roman de monter en puissance, de créer des liens, des tensions, un rythme sans longueur. Régine Deforges ne nous perd jamais, ce qui est rare, par son nombre de personnages. Ce roman ne se lit pas, il se dévore. Les aller-retour de Léa entre le Bordelais et Paris, rythment l'histoire et on se demande ce que nous aurons fait si nous avions été à sa place.

Quand on commence la bicyclette bleue, on ne peut s'arrêter et on a qu'une seule envie c'est de connaitre la suite.

Citations :

"- La guerre, la guerre, on ne parle que de ça. J'en ai marre ; ça ne m'intéresse pas", dit Léa [...]
Jean et Raoul, d'un même mouvement théâtral, se précipitèrent à ses pieds.
"Pardonne-nous, reine de nos nuits, soleil de nos jours. fi la guerre qui bouleverse les filles et tue les garçons ! Ta fatale beauté ne saurait s'abaisser à ces vils détails. Nous t'aimons d'un amour sans égal. Lequel de nous deux préfères-tu, ô reine ? Choisi. Jean ? L'heureux homme, je meurs à l'instant de désespoir.", déclara Raoul en se laissant tomber bras en croix.
Les yeux pleins de malice, Léa fit le tour du corps étendu qu'elle enjamba d'un air méprisant puis, s'arrêtant, le poussa du pied, et dit sur le même ton mélodramatique :
"Il est encore plus grand mort que vivant."

"C'est vous que je hais. Je souhaite que vous soyez le premier mort de cette guerre.
- Je le regrette, ma chère amie, mais comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas l'intention de vous faire ce plaisir. Demandez-moi tout ce que vous voulez, bijoux, fourrures, maisons, je les déposerai bien volontiers à vos pieds. Mais ma vie, si misérable soit-elle, j'y tiens.
- Vous êtes le seul. Quand à vous épouser ...
- Qui vous parle de mariage ? Je n'aspire u'à être votre amant.
- Sal ...
- Oui, je sais, je suis un salaud."

"Oui, je suis écrivain. Ecrivain avant tout. vous n'êtes qu'une femme, que pouvez-vous comprendre de la vie d'un écrivain, de son combat quotidien entre son désir de vivre et son désir d'écrire ? Ce sont deux choses incompatibles. Je suis comme Oscar Wilde, je veux mettre du génie dans mes œuvres et dans ma vie. et cela ne se peut. J'enrage, mais il faut choisir : vivre ou écrire. Je porte en moi un grand livre, je le sais, mais mon désir de participer aux mouvements du monde, à ses passions, m'oppresse tellement que mon travail s'en ressent."

"- Et nos soldats, tu les as vus nos beaux soldats ? avec leurs uniformes dépareillés, leurs armes démodées, sales, les pieds en sang, ne pensant qu'à une chose fuir ? ...
- ... tu exagères, je suis sûre que la plupart se sont bien battus. Souviens-toi de ceux qui défendaient le pont, à Orléans. Partout, en France, partout , des hommes se sont battus et bien battus et beaucoup sont morts
- Pour rien.
- Non pas pour rien, pour l'honneur.
- Pour l'honneur, laisse-moi rire, l'honneur c'est une idée d'aristocrate, tout le monde n'a pas les moyens d'avoir de l'honneur. L'ouvrier, le paysan, le boutiquier qui patauge dans la boue, reçoit des bombes sur la tête et des balles dans le corps, i s'en fout de l'honneur. Ce qu'il veut, c'est ne pas crever comme un chien et que cela s'arrête n'importe comment, mais que ça s'arrête à n'importe quel prix."

Les images qui me restent dans la tête :

Léa qui coure à travers les vignes sous la pluie et l'orage.
Orléans, les bombardements, les incendies, les avions, le pont qui saute, les cadavres qui jonchent le fleuves.
Raphaël dans sa tenue décontractée qui raccompagne Léa dans les rues vides de Paris.
Le petit restaurant clandestin dans un appartement.
Sarah dans sa robe blanche couverte de sang.
Léa sur sa bicyclette bleue qui pédale sur les routes bordelaises pour délivrer ses messages.

Le mot de la fin

La bicyclette bleue est plus qu'un livre historique extrêmement détaillé sur la seconde guerre mondiale, c'est l'histoire une belle personne Léa, courageuse, pleine de vie, de force et d'espoir. Ce sont des rencontres, des échanges, où la noirceur de l'être humain et sa bêtise prend tout son sens. C'est un classique de la littérature Française. Ce n'est je pense pas la dernière fois que je lirai ce livre...

***



Commentaires

  1. C'est aussi mon livre-doudou !! Les personnages sont tellement complexes et riches, et l'époque tellement bien recréée que c'est un pur bonheur de lecture... malgré l'ombre du plagiat qui n'arrive pas à entacher !

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