Désolée, je suis attendue - Agnès Martin-Lugand

Auteur : Agnès Martin-Lugand
Éditions : Michel Lafon
Genre : Contemporain
Date de publication originale : 2016
Pages : 376

     "Quatre mois que je me tournais les pouces : vive les stages de fin d'études !"

Synopsis :

   Yaël ne vit que pour son travail. Brillante interprète pour une agence de renom, elle enchaîne les réunions et les dîners d'affaires sans jamais se laisser le temps de respirer. Les vacances, très peu pour elle, l'adrénaline est son moteur. Juchée sur ses éternels escarpins, elle est crainte de ses collègues, et ne voit quasiment jamais sa famille et ses amis qui s'inquiètent de son attitude. Peu lui importe les reproches qu'on lui adresse, elle a simplement l'impression d'avoir fait un autre choix, animée d'une volonté farouche de réussir. Mais le monde qu'elle s'est créé pourrait vaciller face aux fantômes du passé.

Ce que j'en ai pensé :

Yaël 20 ans et Yaël 30 ans. Deux personnages, deux caractères, deux façons de réfléchir, d'agir, de se comporter, aux antipodes et pourtant Yaël n'est qu'une et une seule personne. Ne chercher pas une double personnalité, une schizophrénie particulière, Yaël a juste changé en une dizaine d'années, elle est passée de l'insouciante étudiante, bien dans ses baskets à rêver de tour du monde et à trainer avec ses potes dans un bar à boire de la bière à une femme plus qu'active professionnellement perchée sur ses Louboutin, maniaque du contrôle, sûre d'elle. Sûre, peut être pas si sûr finalement. Car Yaël a un super job, un super appart digne de passer dans les papiers glacés d'AD - Architectural digest, mais sa vie personnelle est vide, tellement vide que s'en ait effrayant pour nous lecteurs. Pourtant Yaël se sent bien, ou croit se sentir bien, sa journée est chronométrée à la seconde près et ses nuits sont effacées par les somnifères ; ça ne vous fait pas rêver ? Moi non plus. La première réflexion que je me suis faite, c'est quel plaisir peut-on avoir dans une vie formatée, survitaminée, sans pause, et puis j'ai regardé autour de moi et j'ai compté le nombre de personnes dont la vie est sensiblement pareil, ceux ou celles qui bossent comme des dingues (et pour quelle reconnaissance au final ?), ceux ou celles qui rentrent tard et ne voient jamais leurs enfants et se voient dire leurs quatre vérités à l'âge de l'adolescence, ceux ou celles qui sont sous anti-dépresseurs, somnifères, anxiolytiques, ceux ou celles qui font un burn-out pour les plus chanceux et pour les moins, AVC, Crise cardiaque. Je passerai sur ceux qui vont jusqu'au suicide au sein de leur entreprise. Le monde qui nous entoure tourne à une vitesse folle, on nous en demande toujours plus avec toujours moins, nos priorités ne sont plus les mêmes que celles de nos parents et encore moins de celles de nos grands-parents, l'escalade de ce monde, de cette volonté de toujours mieux faire que notre voisin que se soit dans notre vie personnelle ou professionnelle, de cette volonté d'être parfait, parents parfaits, vie parfaite, amis parfaits, enfants parfaits, collègues parfaits, une perfection illusoire, une perfection fragile qui lorsque les premières fêlures apparaissent, il est déjà trop tard et tout éclate.

Agnès Martin-Lugand nous livre ici un texte tellement réaliste, tellement contemporain, tellement vrai que s'en est effrayant, car nous sommes tous les mêmes, tous conscients que la vie n'est pas un long fleuve tranquille, que nous devons subir, que nous profiterons plus tard, que ce n'est qu'une passe, que nous avons toujours une très bonne excuse pour nous bercer d'illusions et oublier de prendre notre temps ou du temps avec ceux qu'on aime. Qu'elle est la dernière fois que vous avez dit "Je t'aime" à vos proches : amis, famille. Ces trois simples petits mots de rien du tout ? Et bien moi c'était hier, à mes enfants, à ma mère et à mon père, à ma meilleure amie qui était à l'hôpital avec sa fille. Ces simples petits mots font quand on les prononce que le temps s'arrête, que l'on souffle que l'on prend du recul même que quelques instants mais comme ils font du bien. Et ce livre est un concentré d'amour pour ceux qui entourent Yaël qui s'est perdu et qui va croiser de nouveau la route de Marc. Marc, le déclencheur, le tsunami qui va dévaster au plus profond de son être cette jeune femme qui avait cru avoir son avenir déjà tracé. Mais pour Yaël, les rapports humains sont impossibles, car ils sont imprévisibles, elle n'a plus le contrôle, dérape, dévie de son objectif principal, fait des erreurs pour la première fois, en fait, la superwoman robotisée devient enfin humaine et ça fait mal ; ça fait mal de se sentir vulnérable, de casser cette carapace si durement construite, de prendre des décisions pour des questions qui n'existaient pas quelques temps avant. Yaël doute, cri, se détourne, se retourne, se bat contre l'inévitable, contre sa destinée. Le hasard ou au contraire le destin, la coïncidence, je vous laisse faire votre propre opinion.

Ce livre est un électrochoc de la réalité que beaucoup d'entre nous vivons au quotidien, les personnages sont travaillés, approfondis même si j'aurai personnellement souhaité que ce livre ne soit pas raconté à la première personne, j'aurai aimé découvrir l'état d'esprit des autres personnages, leur crédo, leur faille, leur amour pour la vie, pour leur famille, pour leurs amis. Et c'est sans doute cette raison qui fait que je suis loin du coup de cœur, mais ce livre marquera mon esprit, il ne s'effacera pas comme tant d'autres. Agnès Martin-Lugand a su, de manière extrêmement élégante, donner un sens à la vie de Yaël et peut être un peu à celle de son lecteur.

Citations :

"- Vous me faites de a peine, Yaël. Sincèrement.
Sur l'instant, je le crus, et ça me désarçonna.
- Juste un petit conseil : mettez un peu de passion dans votre vie, détendez-vous, vivez un peu, et tout ira mieux. Vous serez meilleure encore."

"J'ouvris les yeux et les vestiges de mon téléphone apparurent sous mon nez. [...] Je fixai les lambeaux d'électronique qui avait failli nous coûter la vie, surtout la sienne. Puisque finalement, la mienne se résumait à ça. cette chose. Le monde, les autres n'existaient plus, je n'avais plus aucune notion de ce qui était bon, mal juste ou injuste. Mon existence se résumait au prisme des informations délivrées par cette chose inanimée, sans émotions. J'étais une coquille vide de tout, sans considération pour mon entourage. Et j'avais failli tuer Marc pour sauver mon téléphone, cet iPhone6 avec lequel je dormais, qui finalement était mon bien le plus précieux, l'unique d'ailleurs."

"J'allais profiter de ce qu'il me donnait en essayant de me protéger avec les moyens à ma disposition. Et puis je verrais bien ce qui se passerait. Ne m'avait-il pas dit que nous devions prendre les choses comme elles venaient, sans réfléchir ? ça voulait dire qu'il n'attendait peut-être rien de particulier, rien de plus que ça..."

Le mot de la fin :

Mon premier roman d'Agnès Martin-Lugand mais sans doute pas le dernier. Ce livre est tellement ancré dans la réalité de notre quotidien, qu'il est sans doute un miroir plus ou moins déformant de nos propres vies. Une allégeance à ce que l'on croit être normal dans un monde qui ne l'est plus. Ce roman fort, questionne, nous fait prendre du recul, le temps de sa lecture : quand la fiction entre dans la réalité et que c'est aussi bien maitrisé, ce n'est que du plaisir ...

***

Commentaires

  1. il me tente plutôt pas mal il est dans ma pal c'est aussi mon premier de l'auteur

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    1. N'hésite pas à le sortir, ce roman change de ce que j'ai pu lire ces derniers temps et il m'a fait du bien.

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  2. J'ai adoré ce livre! J'en lirai certainement d'autres de l'auteure :)

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    1. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai adoré mais en tout cas ce ne sera pas mon dernier de l'auteur non plus !

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  3. C'est le seul de l'auteure que je n'ai pas lu et que je ne possède pas! J'avoue que ta chronique m'intrigue pas mal! :o Je l'achèterai quand il sortira en poche je pense :)

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