Un grand roman d’amour et de résistance à travers l'histoire des Milles (Aix-en-provence), le seul grand camp d’internement et de déportation français encore intact.
Jeune caricaturiste de presse juif allemand, Leonard Stein voit sa vie basculer quand Hitler arrive au pouvoir. Réfugié sur la Côte d’Azur après avoir combattu pour la liberté en Espagne, la guerre le rattrape. À l’été 40, il est envoyé aux Milles, camp d’internement situé à sept kilomètres d’Aix-en-Provence.
Leo n’a qu’une idée en tête : s'échapper par tous les moyens. D’échecs en vaines tentatives, il finit par rencontrer une volontaire marseillaise d’un réseau de sauvetage, juive elle aussi, Margot Keller. Alors que leurs efforts conjugués paraissent porter leurs fruits et annoncer la liberté, l’été 42 arrive, meurtrier et cruel, faisant vaciller leurs espoirs. Mais les deux amants semblent croire à l’impossible…
L'usine de tuiles des Milles verra passer 10 000 étrangers, en majorité juifs. Un lieu de détention effroyable mais aussi un centre de culture, de création, peuplé par des intellectuels et des artistes opposés au nazisme, dont Max Ernst et Franz Hessel. Une histoire encore très peu connue, l’ouverture au public du site-mémorial datant de 2012 seulement.
Ce que j'en ai pensé :
Il y a tellement de choses à dire sur ce roman qui ne fait qu'à peine 300 pages. Mais quel roman ! Combien de mois, combien d'années, je n'ai pas vibré autant durant ma lecture. Je n'ai pas lu ce roman: je l'ai vécu. J'ai vu, j'ai senti, j'ai ressenti ...
La Provence, le pays des merveilles, où le soleil caresse la peau, le ciel plus bleu que la mer elle-même, les cigales qui chantent, les oliviers et les arbres fruitiers qui fleurissent et s'épanouissent. Le Mistral qui fait s'envoler un chapeau de paille.
C'est comme cela que les cartes postales nous montre ce pays. Mais la réalité est autre : le soleil brûle en été et le Mistral glace en hiver et au camp de Milles, c'est l'enfer pour ceux qui s'y voient conduits quelque soit la saison.
Ce lieu sera le théâtre bien réel de l'internement et de la déportation français de la zone Sud dite "libre". Mais la liberté n'est pas pour tous et en particuliers les expatriés de l'Est, les intellectuels, les artistes - Liberté de corps absente, Liberté d'esprit éternelle - Malgré l'enfermement et les privations, les hommes vont créer et laisser les traces de leur passage à travers des œuvres encore présentes aujourd'hui.
L'un d'eux sera Léo qui, comme beaucoup, va être interné au camp des Milles. Léo, si jeune et pourtant a vécu tant de choses. Léo va créer, va dessiner, va peindre le quotidien, les attitudes, les regards et les manies : tout ce qui se passe dans ce lieu reclus. Léo va subir le manque, rêver de liberté et va tout mettre en œuvre pour sortir de cet endroit.
Sur son chemin pour recouvrer la liberté, il rencontre Margot : coup de cœur, coup de foudre. Cette jeune femme aide les personnes comme lui pour trouver des visas tant convoités pour quitter ce pays qui devient fou. Mais Margot aide aussi les femmes qui ont quittés leur pays souvent retrouvées seules avec leur enfants où elles s'entassent dans des lieux imposés par le Gouvernement de Vichy. Elle essaye de donner un peu d'espoir et beaucoup de sourires.
Ensemble, Margot et Léo incarne l'espérance, l'altruisme et le don de soi. Ils donnent sans attendre en retour. C'est le plus beau couple que j'ai rencontré dans mes lectures. Un amour grandissant, un amour loyal, un amour vrai les unit.
On ne ressort pas indemne de ce genre de lecture car l'autrice ne touche pas à l'imaginaire mais au vrai, à la réalité, à l'Histoire : notre Histoire.
Un récit très dur, comme toujours sur cette période, qui au fur et à mesure que les yeux se posent sur les mots, les larmes se font sentir, elles montent incontrôlables, la vue se voile mais on se force à continuer pour savoir si Margot et Léo vont s'en sortir. Ariane Bois nous transmet leur peur, leur envie de vivre, leur amour qui transpire et tout comme les prisonniers qui les laissent tranquilles, nous aussi on a parfois envie de les laisser à leurs rares moments.
Chut ! Ecoutez, voyez la peine, la souffrance, la désillusion, la volonté de vivre. Ariane Bois nous fait ressentir ces mots. Il y a beaucoup de musicalité dans son écriture. Des phrases qui s'enchainent à un rythme effréné dans les moments de tensions ou au contraire plus fluide dans les passages de transition.
Je ne connaissais pas cette autrice mais je lirai volontiers Le gardien de nos frères ou Le monde d'Hannah pour découvrir à nouveau ces pans de l'Histoire méconnus et oubliés.
Ouvert en septembre 1939 au sein d'une tuilerie située entre Aix-en-Provence et Marseille, le camp des Milles connut un peu plus de trois ans d'activité et vit passer plus de 10 000 internés originaires de 38 pays, parmi lesquels de nombreux artistes et intellectuels.
Son histoire se divise en plusieurs phases correspondant aux différentes catégories d'internés qui y séjournèrent : ressortissants du Reich et légionnaires, étrangers désireux d'émigrer, juifs ayant fait l'objet de rafles.
Septembre 1939 - juin 1940 : un camp pour "sujets ennemis"
Juillet 1940 - juillet 1942 : un camp pour "indésirables"
Aout - septembre 1942 : un camp de déportation des juifs
On peut lire à travers ces phases l'évolution tragique de la répression dont furent victimes les étrangers et surtout les juifs sous le régime de Vichy, évolution qui culmina en août et septembre 1942 avec la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs vers Auschwitz via les camps de Drancy et de Rivesaltes.
Une particularité du Camp des Milles est la forte proportion d'intellectuels et d'artistes internés, parmi lesquels Max Ernst, Hans Bellmer et Lion Feuchtwanger. Ils y développèrent une vie culturelle active et résistèrent par l'esprit en créant des centaines d'œuvres, dont certaines sont encore visibles sur place.
Ce foisonnement s'explique incontestablement par la présence de nombreux artistes et intellectuels, dont certains bénéficient déjà d'une renommée internationale tandis que d'autres ne seront reconnus qu'après la guerre.
Les transferts et les rafles de l'été 1942 laissent présager de grandes menaces pour les internés. Durant ces jours sombres, les Œuvres de secours tentent désespérément de sauver le maximum d'internés, et notamment les enfants. Malgré une étroite surveillance, certains internés parviennent à s'échapper et à se cacher, grâce notamment au concours de quelques habitants des environs, d'organisations juives ou de réseaux de sauvetage, en marge souvent des Églises catholique, protestante et orthodoxe. L'action de ces individus isolés et de ces filières, parfois liées entre elles, permet de sauver de l'arrestation des dizaines de Juifs persécutés, en les cachant, en les dirigeant vers des zones de refuge comme le Chambon-sur-Lignon, voire en les conduisant à l'étranger, le plus souvent la Suisse ou l'Espagne. Pour cela, certains d'entre eux se sont vus décerner le titre de «Juste parmi les Nations» par l'État d'Israël.
Citations :
A quoi bon se battre ? Pourquoi ne pas s'abandonner à son sort ? après les Allemands, les Français l'ont jugé indésirable, sujet ennemi, individu à enfermer, à priver de liberté avant de l'envoyer vers un ailleurs hypothétique. Il en a assez, de devoir justifier son existence encore et toujours, de cette vie d'exclus, de solitaire, de paria.
Les jeunes gens s'arrêtent devant l'inscription qui court sur la fresque au mur et les fait sourire : si vos assiettes ne sont pas très garnies, puissent nos dessins vous calmer l'appétit.
Peut-on trouver l'apaisement de l'âme parmi la désolation ?
Le mot de la fin :
J'ai souri et j'ai souffert. J'ai vu et j'ai pleuré. Un livre magistral ! Un livre empli de lumière qui dépeint l'abjecte réalité de notre passé.
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