L'île aux enfants - Ariane Bois
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C'est l'histoire de Pauline et Clémence, deux fillettes inséparables, deux sœurs vivant près des champs de cannes à sucre, qui un jour, en allant chercher de l'eau à la rivière, sont enlevées, jetées dans un avion, séparées, et qui devront affronter bien des épreuves avant de comprendre ce qui leur est arrivé. Il ne s'agit pas d'un conte pour enfants, même cruel, mais de la véritable histoire des exilés de la Creuse, un transfert massif d'enfants venus de l'île de la Réunion pour repeupler des départements isolés de la métropole en 1963, contre leur gré et celui de leurs familles, devenue un scandale d'état. Dans ce roman, c'est la fille de Pauline, Caroline, qui, trente ans plus tard, mène l'enquête sur l'enfance de sa mère, provoquant ainsi des réactions en chaîne et l'émoi de celle qui pour survivre a dû tout oublier...
Comment devenir soi quand on vous a menti ? Peut-on se reconstruire un arbre généalogique ? Qu'est- ce qu'était l'adoption dans le secret et les non-dits des années 1970 ? L'histoire d'une résilience, d'une reconstruction et une plongée dans un épisode peu glorieux de l'histoire de France à travers les yeux de deux enfants.
J’avais envie d’un livre fort sur un sujet marquant, et je n’ai pas été déçue. Après avoir découvert la plume d’Ariane Bois et assisté à sa rencontre pour la sortie de Ce pays qu’on appelle vivre, je me suis plongée dans L’Île aux Enfants. Ce roman revient sur une ignoble politique migratoire menée entre 1962 et 1982, où des milliers d’enfants réunionnais ont été arrachés à leur famille et envoyés en métropole, plus précisément en Creuse et parfois dans d'autres département considérés en déficit de population.
Présentée comme une chance pour ces enfants issus de familles pauvres, cette déportation d’État fut en réalité un déracinement brutal. Très peu ont connu l’amour et la chaleur d’un véritable foyer. Beaucoup ont été exploités, battus, déshumanisés, réduits à l’état de main-d’œuvre gratuite dans une France rurale encore figée dans le passé. Vague de suicides, traumatismes psychologiques, L’Île aux Enfants est un cri pour rappeler cette injustice, un pan honteux de notre histoire. C’est choquant, révoltant, et pourtant bien réel.
Si le sujet est bouleversant, j’ai apprécié qu’Ariane Bois ne tombe pas dans le larmoyant. Son style, très journalistique (mais c'est initialement son métier, je ne l'oublie pas), met en avant la vérité brute plutôt que le romanesque. Cependant, cette approche m’a gênée. La structure du récit, avec ses allers-retours constants entre les époques et ses personnages écartelés entre passé et présent, m’a semblé trop fragmentée. Cela reflète sûrement le traumatisme vécu par ces enfants, mais j’ai eu du mal à pleinement m’attacher aux protagonistes.
Dès les première lignes, les premiers paragraphes, les premières pages, je ressens ce cri qui se forme dans ma gorge, qui l'a serre, qui la gratte, qui la tord. Ce premiers mots m'éclatent à la face. Comment a-t-on pu manipuler ces parents pour leur faire croire que l’exil serait une chance pour leurs enfants ? Malgré la misère et l'insalubrité, ce sont les parents qu'ils faut aider. Quelle peine pour ces enfants et ces parents manipulés en profitant de leur illettrisme et de leur crédulité. Des policiers, des religieuses au cœur même de l'organisation. L'exil, l'inconnu et la solitude car même la fratrie est désunie. seul, abandonné, ils vont devoir grandir. Et pourquoi ces enfants qui ne disent pas : où sont mon papa et ma maman, je veux revoir mon papa, je veux revoir ma maman? Comment ces petits, à qui l’on promettait des vacances, ont-ils pu être dépossédés de tout, même de leur propre nom ? Pauline devient Isabelle, une nouvelle identité imposée comme un chien abandonné sur le trottoir.
1962-1963 ce n'est que le début, le début de la nouvelle histoire de Pauline mais aussi le début de l'inimaginable. Des enfants déracinés, ça a duré jusqu'en 1982, l'année de ma naissance, 20 ans sans cris, sans larme, juste une douleur dans le paysage français. Un politique migratoire pendant les 30 glorieuses, qui au contraire rend notre pays pas glorieux.
Comme je le disais Ariane Bois choisit un angle narratif où le roman s’efface parfois derrière l’enquête. L’histoire de Pauline est bouleversante, mais j’ai été déçue par sa fille. Son parcours, censé restituer la vérité et donner un sens à cette tragédie, m’a semblé trop évident, trop linéaire, comme si la transmission de la mémoire était un simple passage de relais. Cela amoindrit, à mes yeux, l’impact du récit. J’aurais aimé plus de complexité, plus de heurts dans cette quête de mémoire.
Malgré cela, L’Île aux Enfants reste un livre essentiel. Il met en lumière une réalité trop peu connue, une douleur encore vive dans l’histoire de France. Si la forme m’a parfois frustrée, le fond, lui, est d’une puissance indéniable. Un roman nécessaire pour ne jamais oublier.
En lisant ta chronique et le résumé du livre, je me disais que cette histoire me rappelait quelque chose. En fait, je crois que le même sujet est traité dans "Déracinés" de Fanny Laurent, que j'ai découvert grâce à un épisode du podcast Pages à Partager. Il faudrait que je me penche sur l'un ou l'autre de ces livres.
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout le livre que tu cites, je vais aller me renseigner de ce pas. Merci
SupprimerIl y a de quoi être horrifiée par ce pan méconnu de notre Histoire récente, à quel point faut-il manquer d'humanité pour mettre en place et participer à une telle politique?
RépondreSupprimerCe livre est dans ma WL, tu me donnes envie de le lire malgré mon expérience mitigée des livres de l'autrice.
Je pense que c'est un livre plus à découvrir pur le fond : cette histoire méconnue que pour la forme : déjà que tu n'apprécies pas tout à fait l'autrice mais peut être ce qui m'a gêné te conviendra mieux au final.
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